Le bassin genevois se compose d'une plaine relativement plate, délimitée presque complètement par des fronts montagneux qui diffèrent par leur structure et aspects. Dans cet environnement montagneux, le Salève joue un rôle à part. Bien qu'il n'appartienne pas au territoire helvétique, il fait depuis longtemps partie de l'imaginaire et des pratiques des citadins genevois : ses rochers, ses forêts, ses pâturages et villages, cristallisent leurs rêveries alpestres. Ainsi, peut-on comme le suggère l'ethnologue B. Crettaz, situer cette montagne dans la catégorie des "montagnes citadines" qui sont à partir du XVIIIe siècle l'objet d'un véritable engouement de la part d'une nouvelle société urbaine en quête de nature [1].
On y pratique la marche, la varappe, le ski de fond, la luge, le parapente et on y séjourne grâce au développement de l'offre hôtelière et touristique. Le panorama exceptionnel que le Salève offre sur la plaine genevoise jusqu'au Jura, et sur les Alpes jusqu'au Mont-Blanc ainsi que sa diversité naturelle constituent ses principaux atouts touristiques. Pour de nombreux naturalistes de cette époque il représente également un laboratoire d'observations privilégié (géologie [2], paléontologie, entomologie et botanique entre autres) qui lui conférera la réputation de montagne la plus étudiée et décrite au monde.
Le Salève n'intéresse pas seulement les naturalistes car, en plus de son intérêt touristique, ses roches ont de tout temps représenté une ressource économique. Depuis longtemps de nombreuses carrières sont exploitées, soit dans les calcaires pour en extraire des pierres de construction (Etrembières, Monnetier, etc.), soit dans les grès pour la confection de la verrerie. Actuellement, les roches et les éboulis sont toujours exploités au pied du grand Salève principalement pour l'empierrement des routes.
Cependant, bien avant que les citadins profitent de ce site, le Salève possède aussi sa propre population de paysans et de bûcherons. Le versant orienté sud-est, bien qu'escarpé, est largement boisé et soumis au régime forestier. Le paysage des crêtes avec ses prairies, est quant à lui occupé par de vastes alpages. Enfin, il est probable que le microclimat du Salève et la rareté de ses sources (pénurie d'eau) aient constitué un frein à l'urbanisation de son sommet.
1. En effet, de nombreuses villes suisses entretiennent ce type de rapport à la montagne: Lugano avec le San Salvatore; Berne avec le Gurten; Zurich avec l'Uetliberg; Neuchâtel avec Chaumont.
2. Parmi les plus célèbres, H. B. de Saussure (Voyage dans les Alpes 1779-1796) pour qui le Salève représentait un laboratoire de géologie alpine
Aujourd'hui, l'ensemble de la région s'est urbanisée, tant au niveau des pratiques que dans leurs inscriptions territoriales. Le Salève est intégré à la ville et porte les marques de ses différents rythmes : "le rythme quasi permanent de l'emprise foncière, le rythme quotidien du flux et reflux des pendulaires, le rythme éphémère et transitoire des loisirs de fin de semaine" (J. Burgener, 1988). Ainsi peut-il être considéré comme un vaste parc paysager dont l'aménagement doit viser non seulement à mettre en valeur son potentiel tant naturel que culturel, mais aussi à gérer les conflits que peuvent générer ses différents usagers (en particulier les populations résidente et transitoire).
En effet, selon que les conditions climatiques sont bonnes ou mauvaises des vagues, de promeneurs, de pique-niqueurs ou de sportifs déferlent au sommet du Salève. La grande variabilité de ces flux et leur tendance à la concentration dans le temps et dans l'espace caractérisent ces pratiques occasionnant des bouchons sur les deux routes d'accès au sommet et le sentiment d'un envahissement du massif (parkings sauvages). D'autre part, le développement des loisirs et du transport individuel consécutif à l'amélioration des voies routières ont engendré le déclin d'équipements comme le téléphérique ou de l'offre hôtelière. Certaines parties du sommet du massif, (pâturage et boisement) autrefois entretenues, sont laissées en friches.
Le pied du Salève connaît lui aussi de fortes transformations particulièrement au niveau des localités (Veyrier, Monnetier, et Collonges) et de leurs alentours. Depuis une trentaine d'années, les mouvements pendulaires des frontaliers s'accentuent, et le pied du Salève se recouvre de lotissement de petites maisons et de projets immobiliers. Par ailleurs, l'exploitation intensive de 70 hectares de carrières, la création d'un terrain de golf et de l'autoroute A40 ont profondément modifié le paysage du flanc occidental. Parallèlement à cette urbanisation, le Salève semble dans la perception commune menacé par l'emprise grandissante de la ville. Les autorités françaises conscientes non seulement de la pression immobilière dont il fait l'objet, mais aussi de sa valeur paysagère et du rôle qu'il joue pour les habitants de la région, ont mis à l'étude une directive de protection et de mise en valeur de ses paysages tant naturel que culturel (voir ci-contre). Au niveau régional, le Comité régional franco-valdo-genevois poursuit également une réflexion (projet de classement de la région basse et prescriptions spéciales de protection dans sa région haute).
Le Salève, en tant qu'entité géologique et morphologique, s'étend de la vallée de l'Arve jusqu'à la région d'Annecy. Ce chaînon constitué de roches analogues à celles du Jura se compose essentiellement de calcaires qui se sont déposés dans des mers peu profondes et tropicales au cours des époques jurassique et crétacée (entre 150 et 120 millions d'années). Se dégageant des terrains mollassiques de la région d'Etrembières, un premier bastion, le Petit-Salève, s'élève jusqu'à 898 m. Puis, coupée par le vallon de Monnetier, la chaîne reprend de l'altitude et atteint son point culminant aux Pitons à 1375 m.
Le versant du Salève qui regarde Genève est abrupt: il montre ainsi clairement la disposition des couches calcaires qui, dans sa partie supérieure, sont presque horizontales. Une grande cassure (faille) les sépare des grandes dalles verticales de sa partie inférieure, particulièrement bien visibles à l'aplomb du téléphérique. Cette faille très ancienne, toujours active, génère des tremblement de terre heureusement rarement perceptibles; elle s'enfonce à plusieurs milliers de mètres sous la surface du bassin genevois et a certainement joué un rôle majeur dans la formation de cette montagne, il y a environ 2 à 5 millions d'années.
Les formations superficielles contiennent des dépôts de sédiments fluvio-glaciaires qui ont recouvert presque la totalité des bords du lac Léman et les alentours de Genève. Ce sont des alluvions silico-calcaires dont l'épaisseur peut atteindre plusieurs dizaine de mètres. Les éboulis de calcaire se sont mis en place en dernier, et ont recouvert partiellement les alluvions fluvio-glaciaires, comme c'est le cas au pied des falaises nord du Massif du Salève.
Du fait de sa composition calcaire, le Salève. relève du modelé karstique qui se caractérise par un drainage des eaux principalement à composante verticale et souterraine. Ainsi, en l'absence de drainage superficiel, il n'existe, sur le massif, quasiment pas de réseau hydrographique apparent (le Salève est connu pour son réseau souterrain). Les cours d'eau les plus importants sont situés dans la plaine. Il s'agit de l'Arve et notamment de la Drise.
Du point de vue hydrogéologique, les éboulis et les formations fluvio-glaciaires (zone des carrières) se comportent comme un ensemble perméable en laissant s'infiltrer les eaux de précipitation. Du fait de sa position topographique, le versant occidental ne contient pas de nappe aquifère mais des venues d'eau à mi-pente (sur l'ensemble des carrières). Sur le site de la carrière, les venues d'eau ne sont pas très importantes et peuvent être estimées à quelques litres par seconde.
Le climat est de type semi-continental à semiocéanique, avec des hivers très frais et des étés chauds. Le climat et la présence du lac Léman, du Rhône et de l'Arve, provoquent de fréquents brouillards sur la plaine. Du fait du caractère "encaissé" du lac Léman, de la plaine genevoise et de la vallée du Rhône, la région canalise des vents forts et variés en direction (principalement la bise de direction nord-sud à nord-est / sud-ouest; et le vent de direction sud-ouest /nord-est à sud-nord). Sous l'angle climatique, le Salève se démarque des montagnes avoisinantes par le fait qu'il reçoit relativement peu de précipitations: on a pu constater que les précipitations estivales étaient d'au moins un quart inférieures à celles que l'on peut obtenir à altitude égale sur le Jura. Morphologiquement, le Salève présente des particularités dues à sa nature de pli en genoux que l'on retrouve souvent dans les chaînes montagneuses.
Son versant nord-ouest est abrupt, rocheux, formé d'une succession de parois verticales en formes de tours séparées par des gorges profondes (Grand Salève).
Son versant sud-est, en revanche, est en pente douce et couvert de forêt de résineux ou de feuillus. Les multiples décrochements à angle droit par rapport à l'axe de la chaîne provoquent une succession de microclimats froids ou chauds, selon leurs exposition, et la présence, sur la partie chaude exposée au sud-ouest, d'espèces végétales et animales de type méridional.
Quelque part... au Salève
Le caractère remarquable du Mont-Salève est préservé durablement par l’approbation de la directive de protection et de mise en valeur des paysages intervenue par le décret n° 2008-189 du 27 février 2008, publié au Journal Officiel du 29 février 2008.
La directive permet de maintenir le Salève comme espace naturel et pastoral, qui ne sera plus construit excepté à la Croisette de facon limitée. La gestion forestière, celle des routes et de l'urbanisation sur le piémont devront veiller à préserver les vues sur le massif, les points forts et identitaires du paysage. De même, aucune nouvelle carrière ne pourra être créée et celle qui existe ne peut plus s'étendre.
De plus, douze exploitants agricoles ont signé une mesure agroenvironnementale (MAET) dans lequel ils s’engagent à limiter l’apport d’engrais, a retarder les dates de fauche et maintenir quelques arbustes épineux lors des opérations de débroussaillement pour favoriser la biodiversité. Enfin, des inventaires de faune et de flore sont réalisés pour mieux connaître les espèces rares du Salève. Par exemple, on sait aujourd'hui que ce n’est pas onze mais vingt trois espèces de chauve-souris qui fréquentent le Salève !
Tous les projets soumis à autorisation dans le périmètre Natura 2000 (PLU, création d'une route forestière, manifestation sportive ...) doivent faire l'objet d'une évaluation d'incidence préalable. Enfin la charte Natura 2000, signée par des propriétaires, exploitants ou usagers volontaires les engage à préserver les milieux et espèces Natura 2000 en contrepartie d'une exonération foncière pour les premiers.
A partir des années 70, les carrières du Pas-de-l'Echelle ont connus une rapide expansion provoquant de nombreuses polémiques, encore vives aujourd'hui.
Récemment, les exploitants des carrières formulent des propositions qui visent à camoufler les roches mises à nu, en simulant le processus de vieillissement des roches dénudées. Cependant cette proposition, qui n'est pas sans conséquence sur l'écosystème local, se base sur la reconnaissance du seul impact visuel des carrières et ne répond pas au véritable enjeu de reconversion de ces sites.
Le carreau actuel d'exploitation se situe à une altitude d'environ 470 m, l'éboulis exploitable s'élevant jusqu'au premier éperon rocheux (environ 650 m). Les carrières occupent une superficie d'environ 70 hectares, surface fixée depuis des années sans possibilité d'extension. Les travaux d'extraction se font à l'intérieur de cette surface et le sommet de l'exploitation est déjà atteint.
La fin de l’exploitation est prévue pour 2033, avec une remise en état du site qui est déjà amorcée.
Au lieu dit du Pas-de-l'Echelle, l'ouverture de la première carrière date du début du XIXe siècle, époque à laquelle cette activité constitue un dérivé de l'exploitation agricole. A partir de 1920, l'exploitation change d'échelle et produit deux types de matériaux. D'une part, les "matériaux du Salève", calcaires d'éboulis extrait au pied du massif et utilisé pour l'empierrement des routes et, d'autre part, la pierre de taille employée pour la construction. Pour cette dernière, l'exploitation se faisait à l'altitude de 700-750m au lieu dit "Pierre Plate" où le gisement est constitué de plaques épaisses de 30 à 40 cm. Cette production toucha à son terme aux alentours de la seconde guerre mondiale lors de la généralisation de l'utilisation du béton.
Les modes d'exploitation évoluent fortement au cours de ce siècle. La première installation de concassage débute dans les années 30 au moment de l'essor de la fabrication du ciment Portland à Genève (production qui dura une quarantaine d'années). A l'époque une centaine de personnes travaillaient sur le carreau de la carrière, ce qui entraîna le développement du village du Pas-de-l'Echelle. Enfin l'évolution des modes d'extraction, de traitements ainsi que de transport vont permettre d'intensifier et d'industrialiser cette activité qui en même temps voit le nombre de ses exploitants se réduire: d'une vingtaine d'entreprises travaillant sur les territoires de Bossey et Etrembières, seules deux sociétés assurent aujourd'hui la production du "tout-venant".
La nature des gisements et leurs modes d'exploitation sont à l'origine de la configuration spatiale du site. Le gisement est de deux sortes : d'une part les éboulis calcaires de pente et la roche massive qui s'étendent sur une hauteur exploitable de 200 à 250 m et d'autre part les alluvions silico-calcaires qui sont quant à elles dans un gisement de 20 à 30 m de hauteur au pied du Salève.